Histoire
Il est important de resituer l'éducation populaire dans son contexte historique. Trois évènements sont considérés comme fondateurs de l'éducation populaire: la Révolution française avec le rapport Condorcet, la création par Jean Macé de la Ligue de l'enseignement en 1866 et le Front Populaire suivi de la Résistance.
En avril 1792, Condorcet remet un rapport intitulé « l'organisation générale de l'instruction publique ». On peut notamment y lire: « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain, toutes les chaînes auraient été brisées en vain, ces opinions de commandes seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ».
Cette déclaration reconnaît à l'éducation une finalité civique: « L'instruction permet d'établir une égalité de fait et de rendre l'égalité politique reconnue par la loi ».
Les révolutions parisiennes de 1830 et 1848, qui ont mêlé sur les mêmes barricades étudiants (à l'époque presque exclusivement issus de la bourgeoisie), artisans et ouvriers, vont entraîner la formation de premières grandes associations laïques d'éducation populaire : l'Association polytechnique (créée par des membres de l'École polytechnique et animée par Auguste Comte) puis l'Association philotechnique (issue en 1848 de l'Association polytechnique).
La Commune de Paris en 1871 affirme certains droits, propose certaines réformes comme « la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme », l'adoption du drapeau rouge, la séparation de l'Eglise et de l'État, l'instauration d'un ministère du travail, la suppression du travail de nuit, le moratoire sur les loyers, l'enseignement laïc et gratuit, l'enseignement professionnel assuré par les travailleurs, la cantine et les fournitures scolaires gratuites.
La Troisième République va d'abord s'installer avant de mettre en place ou tout au moins favoriser quelques années plus tard l'amnistie des communards, le droit de grève, le droit syndical, l'école publique laïque et obligatoire, les premières bourses du travail, etc.
Les ouvriers réclament des bibliothèques dans les entreprises, des cours du soir en sus des formations professionnelles destinées à augmenter leur productivité: de l'économie, de la philosophie, de l'histoire. C'est l'époque de l'apparition des premiers musées du travail : statut culturel de l'outil, œuvre de culture. Par exemple pour Fernand Pelloutier l'éducation est un prélude à la révolution « ce qui manquait à l'ouvrier, c'est la science de son malheur », il faut « instruire pour révolter ». Après le choc de la Première Guerre mondiale et la disparition de l'utopie de solidarité des travailleurs, l'intérêt porté à la révolution bolchevique provoque des scissions au sein du mouvement ouvrier (SFIO et PCF, la CGT...).
Mais la menace d'une nouvelle guerre, du fascisme, la « montée des périls » permet l'arrivée du Front populaire et la relance des mouvements d'éducation populaire, notamment grâce à l'action du secrétariat d'État aux Sports et aux Loisirs de Léo Lagrange. On voit la naissance des CEMEA (Centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active), des CLAJ (Club Loisirs Action Jeunesse), des Auberges de jeunesses, des chantiers de jeunesses.
La guerre puis le gouvernement Pétain conduit à un retour en arrière. Mais très vite on retrouve dans la résistance les éléments venus de l'éducation populaire. Peuple et culture est créée en 1943. Dans leur manifeste de 1945 :
« Une culture vivante suscite un type d'homme. Elle suppose des méthodes pour transmettre la connaissance et former la personnalité. Enfin, elle entraîne la création d'institutions éducatives. Ainsi la culture populaire a besoin d'un humanisme, d'une technique, d'une organisation propres - faute de quoi, elle risque de rester prisonnière d'un enseignement périmé. »
Lors d'une réflexion sur la place de la culture, Joffre Dumazedier conceptualise la notion de « développement culturel » pour combattre intellectuellement celle de « développement économique », dans une logique où il s'agit de se forger des armes critiques contre le capitalisme.
À la Libération, on assiste à la naissance de la direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, puis de la direction de l'éducation populaire et des mouvements de jeunesse au sein de l'Éducation nationale. Le courant laïque considère à ce moment-là que l'école est acquise et n'est plus à défendre, qu'il faut travailler autour de l'école.
Le mouvement ouvrier est puissant et organisé. C'est autour du travail dans l'entreprise que s'organise la culture, en lien avec la production, il s'agit d'établir un regard sur la gestion. Naissance de Travail et Culture, de Tourisme et Travail. L'éducation populaire est florissante. La ligue de l'enseignement se reconstitue et engage à nouveau une défense de la laïcité.
Puis l'arrivée de la Cinquième République provoque des modifications importantes : la jeunesse est séparée de l'éducation et est confiée à Maurice Herzog, la culture s'émancipe également sous la tutelle de André Malraux. On voit des choses bizarres comme la pratique du théâtre amateur restée une pratique d'éducation populaire et donc dépendant de la jeunesse, alors que le reste du théâtre (les professionnels, les « cultureux » pour reprendre le mot, péjoratif, entendu lors du débat par des animateurs socioculturels, ce qui montre bien un fossé) passe à la culture avec Malraux.
1968 marque un tournant de l'éducation populaire. Le 25 mai, les responsables des maisons de la culture publient la Déclaration de Villeurbanne:
«(..) nous refusons délibérément toute conception de la culture qui ferait de celle-ci l'objet d'une simple transmission. Non point que nous tenions pour nul, ou contestable en soi, cet héritage sans lequel nous ne serions peut-être pas en mesure d'opérer sur nous-mêmes, aujourd'hui, cette contestation radicale: mais parce que nous ne pouvons plus ignorer que, pour la très grande majorité de nos contemporains, l'accès à cet héritage passe par une entreprise de resaisissement qui doit avant tout les mettre en mesure d'affronter et de pratiquer, de façon de plus en plus efficace, un monde qui, de toute façon, n'a pas la moindre chance de s'humaniser sans eux. »
L’exigence de transformation sociale est forte, mais très vite une partie de cette révolte est récupérée, étouffée. L'éducation populaire perd de sa force en même temps que le mouvement ouvrier. Les années 70 voient la naissance de l'animation socioculturelle qui se réclament de la neutralité sans pouvoir en donner une définition précise. C'est également la loi de 1971 sur l'éducation permanente, fortement inspiré du mouvement de l'éducation nouvelle, mais qui n'en reprend cependant que la partie consacrée à la formation, à l'employabilité et oublie la critique de l'action, la démocratie, bref met l'accent plus sur les fins que sur les moyens.
Courants de l'éducation populaire
Au cours du XXe siècle on a vu émerger trois courants et trois traditions de l'éducation populaire: la tradition laïque éducative, la tradition chrétienne humaniste et celle du mouvement ouvrier.
Le courant laïc est clairement issu de la tradition de Condorcet. L'instruction doit être accessible à tous et former les citoyens, et prise en charge par la république. Pour Condorcet il n'y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir. Mais il peine à retrouver sa place aujourd'hui dans l'évolution du capitalisme.
Le second dans le mouvement chrétien, après le ralliement des protestants au 1er courant, est clairement catholique. Les héritiers de cette tradition souhaitent garder la morale, s'inscrire dans une problématique d'aide, d'assistance, de surveillance, de moralisation. Mais il évolue, incarné par « Le Sillon » de Marc Sangnier qui va découvrir peu à peu la problématique de l'exploitation. Il sera d'ailleurs excommunié par le pape en 1910, pour avoir incité à adhérer à la CGT. Ce courant, orienté vers la problématique actuelle du lien social, pourrait s'incarner aujourd'hui dans des formes d'actions sociales telles que celles prônées par les centres sociaux.